Nous avons quitté les Grenadines de Saint Vincent pour les Grenadines de Grenade, nous avons donc changé d'état et notre périple s'est poursuivit vers le sud ouest. Nous sommes poussés par des alizés plutôt musclés (20/25 noeuds, jusqu'à 30 dans les rafales) et la mer est un peu agitée entre les iles, mais la navigation se fait au portant ou trois-quart arrière, l'allure préférée de Quintet. Vers le sud, ce sont toujours des navigations faciles, rarement plus de 30 milles et de jour, car la signalisation maritime est totalement inexistante. Le retour sera nettement plus sportif... Nous avions fait, depuis Petit Saint Vincent, une incursion illicite à Petite Martinique pour faire de l'eau, mais c'est à Cariacou que nous avons fait notre entrée officielle dans cet état, et la Clearance à Hillsborought.
Découverte par C Colomb en 1498, l'ile fut baptisée "Conception", mais ce n'est que plus tard, que les navigateurs espagnols la baptisèrent Grenade, comparant ses sommets verdoyants aux montagnes dominant la ville andalouse de Grenade. Ce nom fut ensuite toujours conservé par les Anglais et les Français malgré leur conflits. Il fallut deux traités pour concéder définitivement l'ile aux Anglais en 1783, dommage pour nous. Il en reste de savoureux noms au hasard des villages ou des caps, et certains mots en patois du pays, que nous essaierons de découvrir.
La flore est luxuriante, car l'ile est baignée chaque jour par les pluies providentielles qui se déversent sur les sommets volcaniques, dont le plus élevé culmine à 850m.En revanche, nous n'avons pas vu de faune très exotique, car il semble qu'elle se soit réfugiée dans les montagnes, fuyant les hommes qui ont peu à peu envahi leur territoire;
Les sites touristiques sont pris d'assauts par les tour-opérators et sont payants, en dollars US s'il vous plait, aucun intérêt donc de se faire photographier avec la petite dame en boubou drapeau grenadien et son panier de fruits multicolores sur la tête pour 2 DUS, de lancer des dollars à des jeunes qui sautent dans la cascades, et ne pas dépasser le chemin bétonné... on ne nous y reprendra plus et on ira chercher l'authentique.
Cariacou n'est qu'à quelques milles d'Uion, et nous y avons fait notre clearance dans les Grenadines de Grenade. La clearance, ça ne rigole pas et ça vous déleste de quelques dollars caraïbéens (ou ECI), entre 50 et 70 ECI à chaque entrée, c'est au plus 20 euros, mais un petit parcours police/douanes et de la paperasse, les français ne sont donc pas les premiers en ce domaine..
Cariacou n'a aucune infrastructure touristique, mais fait de gros efforts pour essayer d'attirer quelques globflotteurs. La clearance est donc toujours un moment un peu stressant, car dépendant de l'humeur des autorités, qui font, ou pas, quelques efforts pour essayer de comprendre ce que j'essaie d'expliquer en anglais. Les questions posées sont destinées a vérifier que vous n'êtes pas, en tant que maudit "froggleggs", un dangereux trafiquant de foie gras ou de cuisses de grenouilles ou pire, que vous ne transportez pas dans vos cales quelques barriques de bon vins français... Je plaisante à peine, et c'est bien un interrogatoire en règle qu'il faut subir, les dates et heures d'entrée ou sorties de territoire sont examinées à la loupe, et mise en parallèle avec le temps de navigation moyen. Gare à vous si vous avez une sortie de territoire de l'avant veille, pour une navigation estimée à trois heures, ça a bien faillit finir devant le juge pour des copains-bateau. Pas d'étape sauvage donc avant de faire son entrée, et c'est pourquoi nous n'avons pas dit nous être arrêtés à Petite Martinique, ne serait-ce que pour faire de l'eau.
La bourgade l'Hillsborought est pauvre, mais comme nous le découvrirons dans tout l'archipel, l'influence anglosaxonne donne une impression d'ordre et d'organisation relatifs. La police est présente partout, même si la musique diffusée à fond dans leur 4X4 de service fait douter de leur vigilance. Beaucoup d'enfants, tous portant, à la mode anglosaxone, l'uniforme de leur école, et supportant leur équipe de criquet, jeu british par excellence.
L'influence américaine peut être, les inscriptions "Dieu et ma patrie" sont visibles sur tous les édifices publics, les écoles, et les nombreuses églises. Rien que dans cette toute petite ville d'Hillsborought, nous avons compté près d'une dizaine d'églises, car presque tous les cultes sont représentés: catholiques, anglicans, évangélistes, Saint des Premiers jours, Jéhovah, etc.. dès la nuit tombée (en fin d'après midi) les gens de retrouvent pour prier, chanter et parler, les femmes ont mis leur chapeaux et leur belles robes blanches, et les hommes sont en pantalon longs et chemisettes, les enfants jouent au milieu des chaises ou dehors.
Grenade, notre coup de coeur,
Depuis Cariacou, nous arrivons directement à la capitale de l’ile: Saint Georges; Cette capitale de plus de 20 000 habitants est située dans un abri naturel et garde encore un charme tout français, avec ses quais bordés de bâtiments de briques peintes, son tunnel creusé au XIXè qui passe sous la colline et son fort Georges qui domine la ville. Si les plaisanciers pouvaient encore, il y a quelques années, mouiller leur ancre au pied des remparts de la ville, aujourd'hui, une luxueuse marina occupe aujourd'hui l'espace, et les yachts de luxe regardent de bien haut nos petits voiliers. Nous sommes donc contraints de mouiller l'ancre en dehors de la baie de Saint Georges, sur de beaux fonds de sable mais avec une petite houle pernicieuse qui gâche un peu nos nuits.
L'ile a subit un terrible cyclone en 2004, qui a détruit la quasi totalité des édifices et des cultures, mais la population a fait face courageusement et relance petit à petit son économie, grâce à des soutiens internationaux, américains, vénézuélien, anglais.. Beaucoup d'édifices, détruits par le cyclone Ivan, sont encore en ruine, mais la cathédrale, édifice clair et aéré, a été reconstruite, grâce à des fonds de la communauté catholique.
Comme partout aux Antilles, la musique est présente, et sonore. Les bus circulent à fond les baffles, les cafés et restaurants diffusent la musique rap, reggae ou les derniers tubes anglophones, la culture locale est le steelband et plusieurs écoles se disputent chaque année le titre de meilleur groupe. Rois de la débrouille, les musiciens fabriquent leur instrument dans les dessus de bidons d'essence, les martèlent pour en obtenir deux gammes environ, plus ou moins justes il faut bien le dire. Différentes tailles d'instrument permettent d’obtenir une harmonie complète, et les orchestres, qui rassemblent jeunes et moins jeunes déambulent bruyamment et gaiement dans les rues.
Toujours avec nos amis Oiaou, la découverte patrimoniale se complète de découvertes gastronomiques. Enfin, disons que la culture culinaire n'est pas le point fort des Grenadiens. Il n'est pas facile de se ravitailler en produits frais dans les supermarkets, viandes et poissons ne se trouvent qu'en surgelés, et l'on peut douter de la chaine du froid, fruits et légumes sont chers. En revanche, le petit resto local propose des tambouilles sympas pour quelques dollars caribéens.
Si nous sommes immédiatement repérés comme touristes, notre aspect un peu "baroudeurs bronzés" semble prouver que nous n'avons pas de dollars US plein les poches. Grenade fait partie des circuits des paquebots de croisière immenses qui sillonnent l'arc antillais. Nous avons, étant en première ligne au mouillage, observé leur ballet. Ils arrivent au lever du jour, et déversent les 3 ou 4000 passagers dans l'immense galerie commerciale attenante au quai.
Certains d'entre eux, les plus sveltes ou les plus en forme peut être, s'engouffrent dans les bus pour faire un tour de l'ile et des principaux sites touristiques, mais beaucoup d'autres restent à parcourir la galerie air-conditionnée d'un bout à l'autre, recherchant le souvenir qu'ils ramèneront de leur escale à Grenade, ou assis sur un banc, sont absorbés par leur ordinateur, Ipad ou téléphone, ce jusqu’à 16h, l'heure de l'embarquement. Nous avons échangés quelques mots avec une vendeuse, qui nous confirmait que les paquebots s'arrêtent presque chaque jour de l'année à St Georges, et que les visiteurs étaient essentiellement américains, anglais et brésiliens. Je parlais des plus sveltes qui partaient en bus, car nous avons été frappés par leur embonpoint, nul doute que la nourriture doit être excellente sur les paquebots, et nul doute également, que le manque d'exercice génère ces générations de touristes immobiles....
The Grand Etang Lake, est l'un des sites touristiques. (remarquez la traduction: le "lac grand étang" !!) Pas de quoi crier à la merveille, nous avons les mêmes sites dans le massif central, un lac, qui a envahi le coeur d'un ancien cratère. Mais comme nous sommes arrivés en même temps que les cars de touristes du paquebot, nous avons eu droit au comité musical d'accueil, aux dames en boubou colorés et aux marchandes de fruits. Tout ce petit monde se met en branle à l'arrivée des cars,et accrochent, pour quelques dollars, leur plus beau sourire. Dès que les cars repartent, les masques tombent et les étals ferment, la fête est finie...
La Maison Belmont est une très ancienne exploitation, à l'origine française, de la fève de cacao. Il ne reste que quelques ruines de habitation et des bâtiments d'origine, mais l'exploitation reste traditionnelle, et manuelle. Il en sort une gamme de très bon chocolat, noir évidement, nature, aux éclats de fève, à la muscade ou autres parfums locaux.
Dès 1609, les Anglais tentèrent une colonisation de l'ile, mais les Caraïbes, guerriers farouches et gastronomes avertis, en mangèrent quelques uns et rejetèrent les autres à la mer. En 1650, vinrent les français, plus avisés, qui négocièrent l’achat de l'ile moyennant bijoux de pacotille et alcool mais l'ivresse passée, les Caraïbes reprirent la guerre. L'année suivante, les français acculèrent les derniers Caraïbes au bord d'une falaise de la côte nord. Ce peuple fier, plutôt que de se rendre et vivre une vie d'esclavage, sautèrent dans le vide avec femmes et enfants. L'endroit fut alors appelé Morne des Sauteurs ou Carib's Leap ou Leeper's Hills et un monument leur rend aujourd'hui hommage.
En descendant vers le sud de l'ile, nous nous dirigeons vers cette côte sud-est, découpée en véritables "fjords" qui offrent un grand nombre de trous à cyclones. La promotion immobilière commence à se faire sentir, mais les programmes se limitent à des résidences individuelles haut de gamme, ou de grandes et élégantes maisons collectives à 4 appartements. Les mouillages sont encore en grande partie libres, la place est suffisante pour tous, et les "marinas" se limitent à quelques pontons où l'on peut venir s'amarrer sur pendilles. Rares sont ceux qui s'y mettent, car la houle rentre toujours un peu et met à rude épreuve amarres et bateaux.
True Blue Bay a été investit par un "ressort" haut de gamme et une petite base de location de voiliers, beaucoup de charme. Nous étions quasi seuls, à profiter du paysage, les pelouses impeccablement tondues, les massifs de fleurs et arbres exotiques des belles résidences du front de mer...
Pickly Bay est lune des grandes baies, très fréquentée par les navigateurs qui savent pouvoir trouver ici un chantier naval, un accastilleur, un voilier tenu par un français, et tous les services utiles de laverie, avitaillement européen type carrefour pas loin. C'est ici notamment, que les bateaux sont mis à terre pendant la saison cyclonique de mai novembre, fixés au sol par des réseaux de câbles comme dans une toile d'araignée. Nous en avons profité pour faire quelques emplettes utiles, et nous nous sommes offert notre "cadeau de noël", un nouveau moteur HB pour l'annexe, à un prix défiant toute concurrence. Seul petit souci, il faut qu'on se trouve une autre annexe. L'annexe est en effet l'élément indispensable à la vie du navigateur, c'est la voiture, la fourgonnette, la mobilette, bref, une bonne annexe et vous être beaucoup plus autonome. Nous avions fait le choix, essentiellement pour une question de poids et de place, d'une petite annexe pliable et d'un petit moteur. Bon choix pour la transat, nous l’avions reléguée sous la table du carré mais on doit bien avouer qu'heureusement que nous avons la plupart du temps profité de celle de nos amis Oiou. Le mouillage est souvent loin du débarquement, il y a la plupart du temps le petit clapot qui mouille allègrement tout l'équipage, et l'exploration des criques devient risquée. Nous allons maintenant nous trouver une annexe à fond rigide, en alu pour la légèreté et la fiabilité, et vroum vroum, en avant la musique !
C'est à Picky Bay que nous avons retrouvé avec plaisir les copains bateaux, et fêté comme il se doit l'anniversaire de Nathalie, la "belge-navigatrice" de JAD. Nous n'avions pas vu certains depuis Graciosa, et c'est donc une belle soirée que nous avons passé, nous en avions des choses à nous raconter .
Avitaillement en eau à Picky Bay, la marina est tenue par un sympathique italien, navigateur échoué depuis longtemps ici. Nous faisons évidement très attention à la consommation d'eau, afin d'éviter cette corvée d'avitaillement, aussi avons-nous pris exemple sur les navigateurs qui vivent aux Antilles. J'ai bricolé un récupérateur d'eau de pluie à partir du taud, rien de plus facile désormais de remplir quelques bidons dès qu'un bon grain nous tombe dessus, et on peut prendre une ou deux douches de plus par jour, rincer le cockpit, faire une mini lessive... le bonheur.
Changement de baie, nous entrons dans Clake's Court Bay, et tout le paradoxe de cette ile nous apparait depuis l'eau, de splendides propriétés avec ponton privatif côtoient les cases, simples cabanes de bois peint de couleur vives.
La marina de Clarke's Court Bay a été créée par un Grenadien charmant, Bob, avec lequel nous avons passé un moment. La marina compte une soixantaine de places en temps ordinaire, trente seulement en période cyclonique, mais l'ambiance familiale qui règne dans le club house donne envie d'y rester. Chaque soir, c'est happy hour, et soirée à thème, Hamburger party, vidéo party, karaoke party. La responsable du club parle un français parfait, ayant, dans le cadre de ses études, passé deux ans à Nantes.
Pour cette dernière journée, "randonnée" vers la côte au vent et les Mont Carmel Falls. Les transports en commun sont parfaitement organisés à Grenade. Des minibus de vingt places sillonnent l'ile selon un itinéraire élastique, c'est à dire que si vous demandez un détour, c'est sans problème pour quelques Eci de plus, et personne ne trouve à y redire. L'équipage du bus est constitué du chauffeur, qui ne parle à personne et se concentre sur la route, heureusement car il roule très très vite, et de l'accompagnateur. Le rôle de l'accompagnateur est essentiel, c'est lui qui perçoit le prix du voyage, distribue les places en fonction du trajet demandé, et entasse suivant l’embonpoint du passager (deux sur le même siège pour les plus minces), fait traverser les écoliers de l'autre côté de la route et le plus important, dispose de la télécommande de l'auto-radio. Si vous voulez vous arrêter, inutile de crier car avec la musique à fond, on ne vous entendra pas, vous tapez fort deux coups sur la carrosserie, et immédiatement, même en plein virage, le véhicule s'arrête. Simple, mais efficace cette organisation !
C'est avec Hakim que nous passerons cette après midi là, calme et réservé, il nous guide jusqu'aux Mont Carmel Falls. Pas de touristes pressés, car il faut crapahuter un peu dans la jungle dans un chemin un peu bourbeux, mais nous sommes seuls à profiter de ce petit paradis d'eau douce. Hakim nous montre les principales essences d'arbres, et notamment la muscade, emblème de l'ile.
Vous imaginez que cela fait plus de six mois que nous ne nous sommes pas baignés dans de l'eau douce ? C'est trop fantastique !! et la sensation sur la peau se redécouvre, c'est doux, ça ne colle pas, et ça ne pique pas les yeux, de vrais enfants !
Nous quittons Hakim sur la côte au vent, habités par quelques pêcheurs et à l'écart des circuits touristiques,les villages sont pauvres et sales, les égouts sont à l'air libre et les déchets plastiques abandonnés. Comme partout aux Antilles jusqu'à présent, la gestion des déchets, et notamment des déchets plastiques, ne semble pas une priorité, quel malheur pour ces paysages paradisiaques... Cette côte n'est pas abordable en bateau, car outre la grande houle du large qui vient déferler, elle est bordée d'une dangereuse barrière de corail qui interdit tout accès, mais les paysages sont dignes de cartes postales.
Et voilà, Grenade nous aura enchantée, sa population accueillante et chaleureuse nous donne envie d'y revenir et de s'y laisser vivre un peu. En reprenant le cap au nord, nous ferons une escale à Sandy Island, réserve naturelle où les oiseaux, frégates, fous et pélicans viennent pêcher au ras des bateaux, où le sable si fin qu'il fait comme une poudre blanche et ocre, couleurs du corail, on capte wifi, c'est incroyable sur cette ile déserte, et c'est donc au milieu de ce paradis que nous conversons sur skype avec nos enfants, c'est-y pas ça le bonheur ?