ça y est, nous avons levé l'ancre de la Pointe du Bout et c'est depuis le mouillage de Saint Pierre que ce petit billet est mis en ligne. Nous étions déjà venu en voiture avec Gab et Laure, mais depuis le mouillage où l'on se dit aussi que sous le ventre de Quintet, dorment depuis plus d'un siècle près de 50 navires, coulés lors de l'éruption de la Montagne Pelé. C'est cette tragédie que je vous raconte aujourd'hui.

La Ville de Saint Pierre de la Martinique est située au nord-est de l'ile, et en contrebas d'un tristement célèbre volcan, la montagne Pelé. En terme de patrimoines, c'est l'un des sites les plus intéressants et touchants à visiter. Classée au titre des villes d'art et d'histoire depuis 1990 (ça me rappelle quelques souvenir professionnels), les guides et animateurs locaux tentent, avec visiblement de tous petits moyens, de mettre en valeur les vestiges, de proposer des visites, expositions et animations. Il ne faut pas s'arrêter aux principaux vestiges, mais se laisser perdre dans les rues et places qui révèlent encore aujourd'hui des vestiges intacts de la catastrophe qui frappa la ville au début du XXè siècle.

Le 15 septembre 1635, au nom du roi de France, Pierre Belain d'Estambuc gentilhomme normand, s'empare de la Martinique restée jusque là uniquement occupée par les amérindiens caraïbes. La rade, protégée par la montagne Pelé, suffisamment profonde pour accueillir les lourds navires marchands, permet le développement rapide de Saint Pierre qui devient le port principal et la capitale de l'ile.

Berceau de l’abolition de l'esclavage suite aux émeutes de 1848, la ville devient un haut lieux d'échanges culturels, un théâtre est construit, qui propose des saisons dignes des belles maisons de métropole. L'église du mouillage est promue cathédrale et un imposant séminaire est construit. Sous la IIIème république, St Pierre accueille le premier lycée laïc, sous l'impulsion de Schoelcher.

Une ville magnifique, qui dépassait les 30 000 habitants en 1902.

Ce 8 mai 1902 est une belle journée, comme toujours en Martinique, même si depuis quelques jours, des nuages de fumée viennent un peu obscurcir le ciel d'azur et de sourds grondement rendent nerveux les animaux. Chacun s'affaire dans la rade, de nombreux navires sont amarrés, chargeant ou déchargeant leurs cargaisons. Le Belem, arrivé du Havre il y a quelques jours, est en attente un peu plus au large dans la baie, c'est ce qui le sauvera, son emplacement habituel ayant été pris par un navire de Nantes, Le Tamaya.

C'est une belle journée qui commence, une journée de fête, c'est l'ascension. Le marché sur la place Bertin est animé, coloré et bruyant, les domestiques des grandes maisons et habitations viennent faire leur emplettes. Les paroissiens se rendent à la Cathédrale et à l'église du Fort, les enfants font aujourd'hui leur communion. Au théâtre, peut-être une répétition va-t-elle commencer, en vue d'une représentation prochaine. A la prison, les gardiens vont servir l'ordinaire aux prisonniers, alors qu'à la  maison de santé, les sœurs prodiguent les premiers soins du matin.

A 7h57, l'opérateur du télégraphe chargé de la surveillance du volcan adresse un message serein à son collègue de Fort de France, une minute plus tard, la ligne est coupée...

On peut penser que les marins du Belem voient directement la destruction de la ville ; un panache monstrueux s'élève au dessus de la montagne Pelé, visible à 100 km à la ronde, avant de s' effondrer sur les pentes du volcan à une vitesse foudroyante. La vitesse sera calculée plus tard à près de 700 km/h. La coulée pyroclastique atteint la ville et le port en une minute. Sous l'effet de souffle, les édifices s'écroulent, les entrepôts de rhum explosent, hommes et bêtes sont anéantis...

La ville brûlera encore de nombreux jours avant qu'il soit possible de s'en approcher. Dans les décombres fumants, deux survivants sont retrouvés. La Martinique n'en a pas fini avec les malheurs, car le 10 août de la même année, une nouvelle éruption fera encore plus d'un millier de victimes au Morne Rouge.

Saint Pierre compte aujourd'hui environ 4500 habitants, mais elle n'a jamais retrouvé sa vitalité économique, les hommes dans leur sagesse ayant rapidement préféré Fort de France pour développer l'économie de l'ile. Comme Pompéï, Saint Pierre est longtemps restée enfouie sous un épais manteau de cendres qui a figé la ville. Aussi, se perdre dans les ruelles permet de retrouver facilement les vestiges d'une splendeur passée.

Comme partout, les constructions contemporaines périphériques au centre historique répondent à la demande et aux critères de confort d'aujourd'hui des habitants. Le centre de Saint Pierre est donc quasiment à l'abandon, les maisons de bois sont en ruines, la végétation lézarde murs et toitures, les jolis balcons en fer forgé ouvragés rouillent.

Dans le quartier du port, la Cathédrale, encore appelée ainsi malgré le transfert du siège épiscopal à Fort de France, a été reconstruite avec les matériaux récupérés de la catastrophe.

Derrière la cathédrale, se trouve le cimetière, où nous avons retrouvé des sépultures du tout début XVIII d'officiers de marine, c'est là aussi que se trouve l'ossuaire des victimes de la catastrophe, il surplombe la ville.

Le quartier du figuier, situé le long de la baie, abritaient les entrepôts et les commerces. L'une des rues encore visibles, la rue Bouillé, avait la réputation d'héberger les maisons closes et les cercles de jeu de Saint Pierre, considérée parait-il, comme la ville la plus immorale des Caraïbes.

Le Théâtre, c'était pour nous l'étape à plus touchante, et vous verrez pourquoi, il faut donc que je vous en raconte l'histoire. Je tiens à citer ma source, qui n'est d'autre que le service patrimoine Ville d'art et d'Histoire de Saint Pierre.

Encouragé par une politique d'amélioration d'enrichissement et d'élargissement des centres d'intérêts de la ville, à partir du milieu du XVII, le besoin d'un théâtre permanent s'impose dès 1770. C'est sur l'initiative privée de quatre négociants Pierrotins, que ce projet voir le jour en 1786. Le Grand Théâtre de Bordeaux est ouvert depuis peu (1780), c'est un modèle dont veulent s'inspirer les Pierrotins. Celui de Saint Pierre, sans en avoir la grandeur, lui ressemblait en effet, notamment par les fameuses colonnes en façade.

Le théâtre, alors privé, est lourdement endommagé par un cyclone en 1813. Des travaux sont engagé et dès 1817, le nouveau théâtre et inauguré, c'est son age d'or. Il peut accueillir 800 spectateurs, une taille imposante qui témoigne du prestige de la cité à cette époque. Les artistes français célèbres s'y produisent, et les saisons prestigieuses n'ont rien à envier à la métropole. En 1891, un nouveau cyclone dévaste la Martinique et le théâtre. Le Directeur d'alors s’endettera jusqu'à la faillite pour le remettre en état, mais les recettes ne couvrent plus les dépenses. Au début du XXème, il n'ouvre plus qu’occasionnellement.

Dévasté par la catastrophe de 1902, il ne reste aujourd'hui que l'escalier monumental, le dallage et les soubassements de la salle. Nous qui connaissons bien l'architecture d'un théâtre à l'italienne et celui de Bordeaux en particulier, nous nous sommes vite repérés et sommes montés sur scène, comme des cabotins que nous sommes un peu.

José: "Turandooooooot' !!!"

vue depuis le fond de scène

Prima ballerina ...

Située à côté du théâtre et accolée au morne, la prison reste célèbre aujourd'hui, au travers d'un destin particulier.

Louis Auguste Cyparis, pêcheur et agriculteur, condamné au cachot à un mois de prison pour avoir agressé un camarade, fut retrouvé quatre jours après l'éruption, blessé et brûlé mais vivant. L'histoire retiendra qu'il fut le seul rescapé de la catastrophe, il y en eu en effet un deuxième, un cordonnier des faubourgs de la ville. Cyparis fut gracié et devint par la suite l'une des attractions du cirque Barnum.  Lorsqu'on voit en effet les murs épais et voûtés du cachot tout à fait intacts, protégés eux mêmes par les murs épais de la prison, on se dit quand même que ce n'était pas son heure.

Les pierres monumentale de l'église du fort sont restées telles que le souffle les a couchées. Le regard se porte vers le volcan, suivant en cela l'orientation des colonnes de la nef effondrée. L'église était pleine en ce jour d'Ascension, il n'y eu aucun survivant.

Le grand Séminaire était un haut lieu de formation. Les futurs ecclésiastiques venaient des quatre coins du monde pour y recevoir un enseignement choisi, avant de repartir pour des missions d'évangélisation. Tous périrent également lors de l'éruption, le séminaire étant situé dans les quartiers les plus proches du volcan. Une petite chapelle a été reconstruite et c'est aujourd'hui un lieu de vie paroissial. Il n'y subsiste que cette niche envahie par les fleurs, dans laquelle on a posé une statue de la Vierge.

C’était une ville vivante, avec un système d’irrigation et de circulation d'eau très élaborée. Il en reste quelques fontaines asséchées, où l'on peut imaginer qu'on y venait y puiser l'eau fraiche.

Comme à Pompéï, on a reconstruit sur les ruines, et lorsque quelques décennies plus tard les rues ont été déblayées et retracées, se sont redessinées des façades oubliées.

La maison coloniale de santé, située au bord de la rivière Roxelane, était pour l'époque un modèle du genre. Ouverte en 1839, elle était considérée comme un centre médical d'avant garde grâce à ses traitements modernes par douches et bains. Cela nous ferait naturellement bondir aujourd'hui, mais on y voit encore les chaises de force fixées au sol, tordues par la chaleur de la catastrophe, et les cachots. Dirigée par les médecins, aidés des religieuses, la maison coloniale de santé abritaient 200 patients en 1902, dont aucun ne survécu.

Un peu de douceur dans cette histoire douloureuse, nos hommes ont trouvé un gigantesque manguier, croulant sous les fruits mûrs. Il n'en faut pas plus pour faire le plein de fruits pour l'avitaillement du bord.

Saint Pierre semble aujourd'hui délaissée par les politiques, malgré une vitalité qui ne demande qu'à s'épanouir, notamment, comme à Pompéï, "grâce" à cette tragique histoire. Convaincue par les valeurs générées par le patrimoine et la transmission, j’espère voir les fouilles et projets d'aménagement se poursuivre.

En attendant, nous, on va retrouver un peu de légèreté dans les programmes de visites: la Dominique, Marie Galante, la guadeloupe, les Saintes etc...

à bientôt