" Tempus fugit", le temps fuit en effet toujours plus vite lorsque la vie est douce. Voilà plus de deux ans que nous nous sommes lancés dans cette aventure. Nous l'avons rêvée pendant vingt ans peut être, nous plongeant années après années dans les revues nautiques, récits d'aventuriers, puis suivant pas à pas, ou plutôt bords à bords de plus anciens ou de plus expérimentés. On ne saurait tous les nommer, le premier d'entre eux étant pourtant mon papa, prudent mais non moins téméraire marin "côtier" qui aura su transmettre l'envie. 

Voilà donc la fin de cette "parenthèse ouverte", la langue française ayant eu a judicieuse idée d'offrir cette possibilité, nous connaissons donc le début de cette aventure, nous n'en connaissons pas la fin, qui reste suspendue. Pour être plus clair, nous avions décidé de laisser notre Quintet en Martinique et de rentrer en France, nous laissant ainsi la possibilité de revenir, organisant ainsi notre vie entre Europe et Antilles. La vie en a décidé autrement, nul regret dans nos cœurs.

Mais en ce moi d'avril, nous voici encore aux BVI, et nous prévoyons un retour par des chemins détournés. Naturellement, miss météo en décide autrement, et ce n'est pas encore cette fois-ci que nous pourrons découvrir les iles de l'ouest, Saba, St kitt, Montserrat.... On tire des bords pour faire escale à St Martin, puis St Barth chez nos amis Jean et Maud, puis à Antigua où nous voulions voir la "fameuse semaine d'Antigua". De beaux yachts en effet, ça parle pas mal russe sur les ponts des unités les plus hight tech, mais anglais sur les unités anciennes, chacun ses valeurs....

Nous étions aux premières loges pour admirer les régates, mais puisque que nous n'avons pas été invités aux soirées très "hype", ni aux "débriefing" très pointus ( et bien arrosés) des fins de régates, on ne console comme on peut. Au menu du goûter, ananas frais à la chantilly, non mais hooo !

Et c'est reparti, on serre le vent pour passer à l'est de Grande Terre, car on voudrait bien pouvoir accéder aux iles de Petite Terre. Ces deux cailloux situés à l'est de la Guadeloupe ne sont pas toujours accessibles.

Le site est protégé depuis 1998, un sentier balisé et très bien documenté, et le phare réhabilité en espace d'exposition, méritent la visite. les premières traces de vie habitée sur Petite Terre font état d’une colonisation de l’ile entre 600 et 1500 après Jésus-Christ. Les tribus d’indiens Arawaks et Caraïbes seraient donc les premiers à séjourner sur Petite Terre comme en atteste certaines poteries et pierres taillées retrouvées sur l’ile. Chasseurs et pêcheurs, ces peuplades seront celles rencontrées par Christophe Colomb lors de son arrivée sur l’ile en 1493.

La survie sur cette ile dépourvue d'eau douce était difficile, mais on distingue encore la délimitation en pierre des parcelles de culture, les ruines des maisons. Au plus fort de la colonisation humaine on pouvait dénombrer 4 maisons et de 4 à 7 familles y séjournant de manière occasionnelle ou permanente.

C’est avec l’intensification de la pêche et du commerce maritime (inter iles et avec l’Europe), que le balisage et la signalisation des terres est devenu une priorité. C’est la raison pour laquelle dès 1840 fut érigé sur l’ile le premier phare Guadeloupéen.

Le mouillage entre les deux iles est très réglementé. Quelques bouées sont offertes aux bateaux de particuliers, et d'autres sont réservées aux bateaux de touristes qui viennent uniquement pour la journée. Heureusement, à cette époque de l'année, les touristes sont plus rares, nous donnant l'illusion d'être quasi seuls. Il faut choisir sa météo, car ce petit coin de paradis peut devenir un enfer et un redoutable piège pour des tirants d'eau au delà des 2M.

Espèce protégée, il y aurait sur Petite Terre plus de 10 000 iguanes, soit environ le tiers de la population mondiale d’iguane des petites Antilles ou iguane antillais (Iguana delicatissima). Totalement inoffensif et végétarien, l’iguane antillais consomme des fleurs, des fruits et surtout des feuilles : feuilles de bois noir, de bois de couleuvre, de poirier pays, et même de mancenillier (arbre très toxique). D’une espérance de vie d’une quinzaine d’années, il peut atteindre 1m60 pour un poids d’environ 3 kilos. De vrais têtes de dinosaures ...

Des dinosaures aux homos sapiens, quelques milliards d'années d'évolution.

Le temps change, il est déjà temps de repartir vers le sud. Nous passons à l'est de la Dominique, tant pis pour l'escale langoustes de Batali Bay. Nous tentons de passer au vent de la Martinique pour découvrir la côte est en voilier et les magnifiques mouillages que nous avions aperçu depuis la terre. Rien à faire, Quintet se traine à 3,5 noeuds et avec ce vent d'est mollasson, nous y serions dans la nuit. Atterrissage trop dangereux car non balisé. Un regret, et une envie d'y revenir.

L'escale Martiniquaise se fera à Saint Pierre, j'ai décidément une émotion particulière pour ce site grandiose. Les couleurs, bleues de la mer, noir du sable de la plage, la masse du volcan, la vieille ville un peu endormie... Nous arrivons de nuit, le mouillage est calme pour une fois, les bateaux au mouillage se balancent doucement;

On ne manquerait pour rien au monde une dernière pause aux Trois Ilets, retrouver les copains, passer quelques belles soirées, faire quelques belles randonnées (merci Oxygène).... et enfin, derniers bords paresseux, Anse Noire, Grande Anse, Anses d'Arlet, Anse Chaudière, Sainte Anne.

Et enfin, Le Marin, où nous calons Quintet entre deux sympathique martiniquais. Il va falloir déshabiller Quintet,  protéger, ranger, stocker, remettre en état et repérer en vue d'un ré-armement, bref, c'est ce qu'on appelle "désarmer" un bateau (hormis le gréement qui restera en place). Comme nous sommes plutôt méticuleux, il va nous falloir une semaine environ, chacun son rôle.

Pendant que je range voiles et optimise au mieux l'espace de rangement, repère tous les bouts et fabrique des protections de hublots,  José peine sur la mécanique, le moteur est complètement révisé, l'électronique protégée....

C'est fou ce qu'on peut mettre dans un si petit bateau, les coffres sont pleins.

Les cabines, le carré sont aérés tant que possibles, il n'y a plus d'espace libre, le voyage est fini, il faut fermer le panneau de pont.

Tout nu, les clefs de notre joli voilier sont confiées à Laurent, qui habite sur son bateau à la marina et nos copains-bateaux qui viendront souvent vérifier si Quintet s'entend bien avec ses petits voisins, n'a pas d'idée de grand large tout seul, et qu'il saura attendre sagement qu'on vienne le chercher.

On tourne la page, nous avons laissé Quintet sans savoir si nous reviendrions.

J'aurai mis du temps à écrire ces dernières lignes. Novembre 2014, nous regardons Quintet par dessus l'atlantique, depuis ces magnifiques plages des Landes. Beaucoup d'événements se sont passés depuis notre retour, de belles choses: les réussites de nos enfants, des naissances familiales, .... et de moins sereines: la santé de nos parents, de ma maman en particulier. La vie, terrestre, s'est réorganisée; plus ou moins avec plaisir, mais nous avons gagné en sérénité et "zenitude". Notre maison, louée pendant deux ans aurait bien fait l'objet d'une émission de télé-réalité, quelques semaines de nettoyage, réparation et désinfection puces et rats en sont venues à bout. En revanche, José à retrouvé les feux de la rampe avec plaisir (il était temps en fin de carrière), un nouveau chef, de grand talent, ayant été nommé à l'Opéra. Nous avons retrouvé avec bonheur une vie culturelle qui nous manquait un peu, opéras et ballets, concerts.... Le bronzage est un lointain souvenir, mais nous apprécions la douceur d'un feu de cheminée, les poêlées de champignons...

Quintet reviendra sans nous l'été prochain, mais traversera quand même l'atlantique dans l'autre sens avec nos copains skippers. Petit regret, mais de jolis rivages charentais, bretons ou espagnols nous attendent, et, avantage des marées, quelques échouages volontaires, histoire d'aller titiller les coques et palourdes.

Nous sommes heureux d'avoir osé cette aventure, il y en aura d'autres, quelle que soit la monture, sur l'eau ou sur terre, c'est certain. C'est juste un chapitre qui se ferme, mais non notre histoire.

"Le véritable voyage ne consiste pas à trouver de nouveaux paysages, mais d'avoir de nouveaux yeux."

                                                                                                                                      Marcel PROUST