C’est finalement par l’ouest et la côte sous le vent de Guadeloupe que nous poursuivons notre route vers Antigua. La météo n’est pas séduisante, violents orages, vents fort et mer bien agitée, qui nous « obligent », pauvres de nous, à faire un séjour un peu plus prolongé que prévu sur Guadeloupe. Nous pensions en effet monter vers les iles du nord Antillais le plus vite possible, et redescendre doucement vers Martinique avant la saison cyclonique, ce qui nous aurait permis de voir avant leur transat, nos amis Oiaou et Black beatle. Il en sera autrement, nous les reverrons en métropole.

Nous en profitons donc pour découvrir l’aile gauche du papillon Guadeloupéen. Les premiers mouillages sont un peu décevants car bien rouleurs par cette météo, nuit très agitée à Rivière Sens, un peu moins à l’Anse à la Barque. Les autres mouillages faisaient danser allègrement les bateaux et nous ne nous y sommes pas arrêtés. La réserve Cousteau, où nous espérions faire escale, porte le célèbre nom du Capitaine qui, en 1974, a œuvré pour la préservation de cette zone exceptionnelle. Des bouées fixes sont installées pour préserver les fonds, c’est une bonne initiative mais celles-ci sont quasi monopolisées par les clubs de plongés. Lorsque nous y sommes arrivés vers 9h, c’était déjà Disneyland et sa foule des grands jours, le bleu magnifique de l’eau contrastant avec les couleurs criardes des bateaux et des touristes engoncés dans leurs équipements de plongée. Ce n’est pas ce qu’on cherche, mais on espère revenir car le site de plongée est réputé splendide.

Grâce à notre super nouvelle annexe, on peut maintenant élargir nos champs d'exploration, aller plonger sur les tombants, raser les falaises pour tutoyer les chauve-souries, ou se trouver des plages rien-que-pour-nous.

Deshaies est donc la dernière étape nord-ouest de la Guadeloupe, c’est là que tous les bateaux font escales avant de poursuivre leur route. Vaste baie enchâssée entre Gros Morne et Pointe Batterie, nous sommes enfin dans un mouillage bien tranquille, fonds de sable sur eau claire, parfait pour les petits bains rafraichissants avec les tortues qui commencent à venir nombreuses pour la saison de ponte. Les Corsaires et Flibustiers utilisaient ce repaire sûr pour faire les pleins d’eau dans la rivière Des Hayes qui se jette dans la baie, protégés par une batterie de canons datés de 1732, encore visibles. Suite à l’effondrement de l’industrie agricole, Deshaies n’est plus aujourd’hui qu’un petit bourg de 3500 habitants, qui garde encore intacts quelques maisons créoles en bord de mer. 

Malheureusement, elles disparaissent peu à peu, rongées par la rouille et la houle, qui peut devenir violente ici. La municipalité a prudemment interdit toute nouvelle habitation en bord de mer, seuls quelques petits commerces et restaurants peuvent s’installer dans des baraques légères. Le village est dominé par son église, sur laquelle un panneau indique clairement « édifice dangereux en cas de cyclone », comme quoi ici, et malgré la ferveur religieuse, on ne fait guère confiance en la protection divine. Beaucoup de « métros » se sont installés à Deshaies, attirés son isolement, son calme et sa végétation luxuriante qui cache de belles propriétés. Le plus célèbre d’entre eux est Coluche, qui y avait une « petite résidence secondaire » de 5 Ha, devenu aujourd’hui un jardin botanique à visiter et un restaurant gastronomique, situé en haut d’une cascade face à la mer des caraïbes.

Pas la peine de faire les pleins d'eau, celle qui tombe du ciel suffit largement à remplir les cuves...

Nous faisons des progrès en créole. Comme certaines régions de métropoles, les villes et villages portent leur double appellation. Ainsi, Deshaies est Déhé , ou  le village de Vieux Habitants est Vieuzabitan. De même, et grâce à « m’a-am sorbet », une très sympathique mamie chez qui nous prenons le petit sorbet-coco frais de l’après-midi, nous en apprenons davantage sur la vie locale. Elle est également curieuse de notre vie sur l’eau, car la mer ici est un monde fréquenté par les maris-frères-fils pêcheurs, mais pas par les femmes :

M’a-am sorbet : «sa ou fè ? alo doudou, comment ti fai si ton mari a un état ? »

Moi : j’ai déjà traduit « sa ou fè » par « comment ça va ? », mais « un état ?!?? »

M’a-am sorbet : « bah oui, sil é malade ou-quoi su le bateau ! »

Délicieuse rencontre …

Le temps s’étire un peu par ce week end très prolongé de l’Ascension, magasins et office de tourisme fermés, pas de location de voiture, heureusement que nous avons pu acheter une connexion wifi au Pélican, magasin-souvenir-douanes-clearance. On peut zapper sur le net pour préparer les visites et prochaines escales, prendre des nouvelles de copains-bateaux, « skypper » avec la famille entre deux baignades, le temps est lourd et incertain. Quelques promenades à terre nous trouvent ruisselants-transpirants, pas assez de courage pour de grosses randonnées, mais nous faisons connaissance avec des couples de co-explorateurs marins, ce qui occupe fort sympathiquement le temps et nous suivons la régate régionale qui anime un peu ce dimanche. A cette période de l’année, les voiliers que l’on rencontre sont maintenant ceux qui restent aux Antilles, majoritairement de dynamiques et joyeux retraités qui commencent doucement à redescendre vers le sud pour la saison cyclonique. Ils en sont à leur deuxième, sixième ou dixième saison de navigation aux Antilles, ils en connaissent tous les bons plans, les bons mouillages, les petits trucs qui facilitent la vie sur l’eau. La soirée se prolonge tard à s’échanger les expériences de vie maritime, sans aucune forfanterie.

Location pour deux jours d’une petit Ford, nous partons à l’exploration de l’aile gauche du papillon. Petit lexique, les anciens explorateurs n’avaient pas beaucoup d’imagination pour baptiser les terres qu’ils s’appropriaient au nom de Dieu ou du roi, celle qu’ils touchaient en premier (la plupart du temps la première à l’est) étaient invariablement appelées Terre-de-Haut ou Grande-Terre, et celles qu’ils découvraient ensuite à l’ouest étaient nommées Basse-Terre ou Terre-de-Bas, en ne tenant donc aucun compte de la typologie des sites. En Guadeloupe, ceci explique cela : Basse-Terre est plus haute que Grande-Terre, vous suivez ? Basse-Terre est plus luxuriante en raison d’un degré de pluviométrie très important (les nuages s’arrêtent sur la Soufrière), plus vallonnée, c’est le royaume des randonnées en forêt tropicale, des baignades dans les cascades et les bassins, des plongées magnifiques dans la réserve Cousteau. Pas étonnant que cette partie de la Guadeloupe ait été en grande partie classée par l’Unesco au réseau des réserves de la biosphère.

Des trombes d’eau ne nous ont pas permis de randonner autour du volcan de la Soufrière, ce sera pour une prochaine fois, mais le peu que nous en avons vu est époustouflant : les arbres centenaires immenses, les fougères arborescentes et fleurs splendides, les bruits de la faune invisible…

C’est justement la faune Antillaise terrestre sur laquelle nous voulions en savoir davantage en visitant le parc zoologique. C’est un zoo qui travaille en étroite collaboration avec la Guyanne et la Martinique pour des programmes de préservation des espèces locales et de limitation des espèces invasives. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la faune typiquement antillaise est restreinte et essentiellement composée d’oiseaux : colibris, pic de Guadeloupe ou tapeur, coucou-manioc … de chauves-souris frugivores, de quelques tortues terrestres et iguanes, le racoon ou raton-laveur et de petits mammifères comme la mangouste, probablement importée par les planteurs pour protéger leur récoltes des rats. Depuis la nuit des temps, l’homme a toujours importé des animaux sur ces iles, volontairement ou non, bouleversant irrémédiablement l’équilibre naturel de ces milieux isolés. Les parcs zoologiques et les scientifiques travaillent aujourd’hui à préserver ce qui peut l’être.

Toute la côte sous le vent, que nous avions vu depuis la mer, recèle de petites criques que nous avons repéré pour y revenir avec Quintet, et quelques villes, plutôt des villages. Seule Basse-Terre le chef-lieu du département de la Guadeloupe, montre une activité encore importante. A l’architecture coloniale des vieilles maisons à vérandas et balcons de la place de Champ-d’Arbaud ont succédé quelques belles constructions Art Déco, notamment l’ancien palais d’Orléans, qui date de 1935. L’important port bananier reste l’activité principale, mais la ville s’éteint doucement au profit de Pointe à Pitre, malgré de gros investissements d’aménagement du front de mer.

La banane reste, grâce aux subventions européennes, l’économie principale des Antilles, mais le cacao fut longtemps l’une des richesses cultivée ici. Peu rentable, car nécessitant une main d’œuvre importante pour un rendement à l’hectare limité, les cultivateurs reçurent dans les années 70/80, d’importantes primes à l’arrachage au profit de la banane. Si quelques particuliers gardent encore ces arbres dans leur jardin, il leur faut porter les fèves à torréfier dans une coopérative, la seule qui reste en Guadeloupe. Originaire d’Amérique du sud, il était consommé avec piments et aromates, mais ce sont les européens qui le mélangent au sucre de canne afin de lui donner plus de douceur. On en fait également le beurre de cacao, utilisé en cosmétique et para-pharmacie. Longtemps utilisé par la médecine pour ses multiples vertus, le cacao est l’une des denrées les plus consommée au monde, les plus gros gourmands étant les Suisses (près de 4kg par personne/an), les Belges et les Français (2,5Kg pers/an) et les Américains, mais sous une forme plus élaborée, bonbons et autres confiserie. Naturellement, seul le cacao détenant en moyenne 70% de cacao est bon pour la santé, anti-depresseur, vaso-dilatateur, prévient les maladies cardio-vasculaires et diminue l'ostéoporose, en autres, bref, comme dit ma maman, c'est un excellent médicament.

Avant que l’industrie pharmaceutique développe des produits de synthèse, les anciens avaient appris, comme pour le cacao, à tirer parti de la nature pour contrer petits et grands maux. Certes les vieilles recettes peuvent porter à sourire, mais il est probable que dans quelques décennies, quelque scientifique avisé se penche  sur ces thérapeutiques naturelles et redécouvre leurs bienfaits. Notre pharmacie de bord hight-teck  siècle est encore bien remplie, aussi nous ne testerons pas avant longtemps les recettes que je vous livre :

Soins du visage : pour une femme qui veut avoir un teint éclatant, appliquez un mélange de fumier de taureau macéré dans du vinaigre.

Douleurs articulaires, faire des applications de crottes de chèvres, préalablement écrasées.

Ces deux recettes conjuguées sont un tue-l ’amour, il faut bien l’avouer, car je ne me vois pas, avec mes quelques douleurs articulaires, me badigeonner le visage et le corps de m… pour séduire mon chéri, et comme odeur, les fleurs d’hibiscus que j’accroche à mes oreilles sentent quand même meilleur.

Contre les crises d’asthme : mettez à bouillir un anoli (pauvre petit lézard) dans un demi-litre de lait, passez le mélange et ajoutez un peu de miel. A boire le soir au coucher.

Je dédicace cette sympathique recette à mon beau-papa qui s’en trouvera certainement soulagé, pour peu que mamie-Nicole fasse la chasse aux lézards dans son jardin méditerranéen.

Et voilà pour une immersion dans la culture guadeloupéenne, prochaine étape, Antigua. Cela risque fort d’être un choc culturel après ces quelques jours ici…

A bientôt ?