Un an tout rond que nous avons largué les amarres de La Rochelle pour une aventure que nous pensions ne durer qu’une année. Cette année est passée à la vitesse de l’éclair et il faut nous replonger dans les épisodes du blog pour se souvenir de tout ce qu’on a vécu. Une grande partie du voyage s’est faite en duo avec Oiaou auquel s’est souvent joint Black Beatle. Tous deux sont de retour à La Rochelle, après une transat Iles Vierges – Les Bermudes – Les Açores – La Rochelle qui s’est globalement bien passée, nous les avons suivi avec attention, et leur avons transmis les précieuses infos météo par téléphone iridium. Il faudra bien prendre le même chemin l’an prochain. Si, comme nous l’avons fait pour Oiaou, on peut nous guider sur une route météo la plus sereine possible, ce serait d’autant plus rassurant. On verra. C’était en tout cas une magnifique aventure partagée.

Cette deuxième année est davantage sous le signe des « vacances », puisque les découvertes patrimoniales que nous aimons sont déjà faites. Enfin, presque, car en terme de patrimoine non pas architectural mais de traditions, La Martinique n’a rien à envier à la vieille Europe. Après le festival de Fort de France, où nous avons assisté à des concerts Jazz très sympas, c’est au Marin que nous avons lâché l’ancre.

Le Tour de Martinique des Yoles rondes est une véritable tradition sportive, qui a lieu en juillet-août depuis 1985. Jusque dans les années 1950, les pêcheurs se livraient à des régates à bord de leur yoles (appelés aussi gommiers), mais ces courses se sont progressivement  organisées et sont devenues de véritable compétitions, très « sponsorisées ». Ce spectacle attire une foule considérable à chaque escale du tour de Martinique et cette année, le prologue,  le départ et l’arrivée se fait au Marin, nous sommes donc aux premières loges.

Les indiens Caraïbes  se déplaçaient d’iles en iles dans des gommiers, pirogues taillées dans les troncs d’arbre gommier. Plus tard, cette embarcation servit également aux nègres marrons à fuir vers la Dominique ou Saint Vincent, et plus tard encore, aux combattants martiniquais à prêter main forte aux Forces Françaises  Libres pendant la deuxième guerre mondiale. Les techniques de construction se sont transmises mais la disparition progressive de cette essence a conduit les hommes à choisir des arbres plus légers, puis des matériaux composites suffisamment robustes pour porter, avec l’abandon des voiles, les puissants moteurs qui les emmènent loin au vent de l’ile ou dans les canaux pêcher thons, thazards, espadons et dorades coryphènes.

Les coques profilées de 36 pieds  portent une unique voile carrée qui peut dépasser 70m², choisie selon le vent prévu, avant le départ, car c'est quasi impossible de changer de voile pendant la course. Avant le départ de la régate, les équipiers dressent le mat et installent les « bois dressés », en bambou, exercice d’équilibre spectaculaire.

L’équipage à géométrie variable se répartit selon les rôles : barre, manœuvre d’écoute ou de rappel, écope, car ces frêles navires gîtent facilement et prennent l’eau. Le défilé des équipes, bruyant et coloré, permet d’admirer les sportifs, on peut alors deviner, aux carrures quelquefois très imposantes de certains, quel rôle ils jouent sur la yole. Quelques rares femmes aussi, plutôt bien charpentées, et  tous portent fièrement les couleurs des  sponsors.

Les équipes les plus célèbres, les plus sponsorisées sont aussi les plus bruyantes, défilé aux tambours et percussions, danseuses et couples en costumes créoles traditionnels, cris « de guerre » et chants créoles. Chaque yole appartient à un club d’une ville et à des sponsors, autant dire l’ambiance survoltée des habitants lorsque leur yole est en tête. Pour le Marin, c’est notamment la yole « Brasserie Loraine Isuzu », une marque de bière locale très appréciée.

Le Zanzibar, le restaurant de nos amis Hervé et Laure, est aux premières loges pour le prologue, puis pour l’arrivée finale des yoles une semaine plus tard. Nous donnons un petit coup de main et nous transformons en cabaretiers éphémères, c’est une occasion de plus d’échanger avec les Martiniquais, on progresse dans la compréhension du créole, de là le parler, on n’y est pas encore.

C’est donc une manifestation hors du commun que nous découvrons,  difficile, éprouvante, tactique et esthétique. Mieux encore, nos amis Hervé et Laure nous font la surprise de nous emmener au cœur de l’événement. « Au cœur » est en effet l’indice donné par Hervé pour nous mettre sur la piste, mais nous étions loin d’imaginer la journée qu’ils nous avaient préparée. Tenue imposée de rigueur mais on ne s’en plaindra pas, le teeshirt Mumm est revêtu par l’équipage et la quinzaine invités. Les invités VIP, c’est nous !

Le catamaran affrété par la célèbre marque de champagne est un Lagoon 440, l’occasion pour nous de tester les sensations cata pour la première fois. On le dit tout de suite, dans les conditions plutôt calmes de navigation que cette journée nous a réservée (je parle de la mer et du vent uniquement), poser son verre de champagne sans craindre qu’il se renverse est quand même le comble du luxe. L’équipage et composée des représentants de la marque, hôtesse et équipiers, sans oublier l’incontournable DJ, car en Martinique, la musique à fond (on appelle ici avoir, ou faire « du gros son ») les baffles sont obligatoires pour la fête, mal de crâne garanti, et pas à cause du champagne qui coule à flot.

L’ambiance sur l’eau est énorme, plus de 70 catamarans affrétés par les villes, clubs, sponsors ou supporters et peut être 200 bateaux à moteurs, scooters et autres embarcations qui font bouillonner la mer, survolés par les hélicoptères des télés. La radio diffuse en direct les infos de l’étape, certains catas sont surchargés de percussionnistes et martiniquais survoltés. Les messieurs très comme-il-faut du cata Mumm ont tôt fait de remarquer sur d’autres embarcations quelques jolies naïades en maillots fluo qui trémoussent de forts jolis popotins avec talent. La mode est au fluo et au mini-bikini, ces messieurs savent visiblement très bien ce qu’est un "maillot brésilien". On doit cependant admettre que certaines martiniquaises n’ont aucun complexes, et mettent joyeusement leurs rondeurs, pour ne pas dire plus, en valeur dans de microscopiques  tenues plus « flashies » les unes que les autres. Nos capitaines à nous sont bien plus sages, leur Iphones ne leur servent pas à photographier les martiniquaises (quoi que ?), mais à suivre la course sur leur logiciel de nav / GPS.

L’étape que nous suivons sur l’eau est l’une des plus techniques pour des yoles et pour nous plaisanciers, celle qu’on ne fait pas souvent, la côte nord-est, entre le bourg de Trinité et celui du Prêcheur. Lieu de rencontre des courants et des effets venturi de la côte abrupte qui génèrent  une mer formée et désordonnée, pas de havre ni de refuge, c’est aussi une côte baignée par de gros nuages menaçants un temps retenus par la Montagne Pelée et lâchés avec violence sur la côte nord-ouest.

Le cata suit la course au plus près et très vite, les « mapipi » (les favoris) se disputent les premières places, rivalisant d’énergie et négociant au mieux une mer difficile pour ces étroites embarcations. L’agilité des équipiers sur les bois-debout  est étonnante lorsque tout à coup, on en voit un tomber à l’eau. Incident ? Pas du tout, en fait les règles de course permettent de changer les équipiers fatigués ou pour ajuster « la charge », larguer est plutôt le mot juste. La difficulté est de « réapprovisionner » en équipier frais. Pour être clair, petit vent : équipiers légers, vent fort : équipiers lourds… Un bateau moteur approche, à sa proue, un équipier en équilibre se lance soudain sur un bois-debout libre de la yole et s’y accroche avec adresse, contrebalançant ainsi la gite prononcée de yole. Les trois barreurs aux biceps de catcheurs s’arqueboutent sur le gouvernail, immense pagaie de plusieurs mètres avec laquelle ils dirigent et rament pour remonter au vent. Le patron (le capitaine), hurle les ordres dans un langage maritimo-martiniquais totalement incompréhensible pour nous.

C’est une vraie et belle découverte que cet événement annuel, la vie s’arrête pendant une semaine et la Martinique vit au rythme de la course.  Dans les commerces comme dans les administrations, télés et radios diffusent en direct le Tour des Yoles. Vous avez une démarche à faire à la poste, aux douanes ou à la banque, faites-le après l’arrivée de l’étape, ou revenez la semaine prochaine… Les martiniquais prennent leur vacances en fonction du tour des yoles rondes et avec le Carnaval de février, c’est l’évènement culturel le plus populaire.

Le dimanche 4 aout vers midi, c’est l’arrivée au Marin, juste devant le zanzibar qui fait le plein. Nous sommes maintenant bien rodés, et avons revêtus la tenue marinaise de la yole mapipi, le tee-shirt Loraine. L'équipe est d'enfer, avec le fils de Laure, Axel, et Jean, l'ami rochelais arrivé depuis peu avec sa petite famille. Estimation des médias, 40 000 personnes se pressent sur la plage et les rues avoisinantes dès 8 heures du matin, chacun arborant la tenue de sa yole. Le règlement de la course est plus ou moins identique au tour de France : classement par étape, classement général, meilleure combativité, meilleurs jeunes … et depuis quelques années, c’est la yole sponsorisée par la marque locale d’eau de source Chamflor qui remporte la victoire. C’est encore le cas cette année, mais la plage est en délire à chaque arrivée, ovationnant ainsi tous les sportifs méritants.

 

Nous avons vécu au cœur d’un événement traditionnel et nous nous sommes vraiment amusés, même en « travaillant ». Il nous faut bien quelques jours pour récupérer, avant que notre jolie Sarah pose le pied sur le pont de Quintet pour trois semaines de vacances. Destination privilégiée:  les Grenadines, avec quelques belles escales que nous souhaitons découvrir ou re-découvrir.

A bientôt pour de nouvelles aventures,